Diffamation : faute de preuves corroborant les allégations du journaliste, l’enquête doit être menée contradictoirement pour être jugée sérieuse

Assigné en diffamation pour un article publié sur le site Internet de France 3, l’auteur de l’article n’a pas pu bénéficier de l’exception de bonne foi : alors qu’elle reposait sur des éléments de preuve lacunaires, l’enquête journalistique n’a pas été menée contradictoirement. 

Le 27 mars 2019, France 3 Occitanie a publié un article de presse sur son site Internet qui dénonçait les pratiques du fondateur d’une société française chargée d’un projet d’échange et de coopération culturelle franco-chinois en matière d’enseignement. 

Cet article imputait au fondateur de la société des faits de harcèlement et de chantage envers ses salariés. Il lui était également reproché d’avoir eu recours à la tromperie, au mensonge ou à l’escroquerie. 

S’estimant victime d’une atteinte à son honneur et à sa considération, le fondateur avait assigné en diffamation la directrice de la publication du site Internet en cause ainsi que son éditeur, la société France Télévisions.

En première instance[1], le Tribunal judiciaire de Paris reconnaissait le caractère diffamatoire des propos mais considérait que la bonne foi dont se prévalaient les défendeurs les exonérait de toute condamnation. Insatisfait, le fondateur avait interjeté appel de cette décision.

Dans un arrêt du 28 septembre 2022, la Cour d’appel de Paris a partiellement infirmé le jugement, retenant que les exceptions de bonne foi et de vérité ne pouvaient bénéficier aux intimés.

Refus du bénéfice de l’exception de bonne foi en l’absence d’enquête sérieuse et de prudence dans l’expression

La Cour d’appel a rappelé qu’en matière de diffamation, l’auteur qui prétend s’être exprimé de bonne foi doit démontrer qu’il s’est exprimé dans un but légitime, qu’il n’éprouve aucune animosité personnelle à l’égard du diffamé, qu’il a conservé prudence et mesure dans son expression et qu’il s’est appuyé sur une enquête sérieuse. 

Dans cette affaire, les trois premières conditions ne posaient pas de difficulté particulière. La Cour a ainsi retenu que les propos s’inscrivaient dans un but d’information légitime et qu’aucune animosité personnelle n’était caractérisée.

Elle a cependant relevé « un manque patent de prudence dans l’expression » du fait du choix des termes utilisés tels que « guet-apens », « espionnage », « chantage », pour qualifier les pratiques douteuses imputées à l’appelant. 

L’objet principal du débat portait donc sur l’existence d’une enquête sérieuse. Il appartenait donc aux juges de vérifier si l’auteur de l’article litigieux avait effectué des vérifications quant à la réalité des allégations imputées à la personne visée. 

En l’espèce, la Cour d’appel a jugé que les propos litigieux étaient étayés par une déclaration faite par une assistante et des vérifications relatives à la réalité de l’embauche de deux personnes citées dans l’article. 

Néanmoins, la journaliste n’avait pas cherché à vérifier l’existence d’éléments objectifs permettant de démontrer la réalité des pratiques dénoncées. 

La Cour a également ajouté que le non-respect du contradictoire « fragilis[ait] le sérieux de l’enquête ». En effet, la journaliste n’avait jamais sollicité le point de vue de la personne visée par les allégations. 

La Cour d’appel en a donc conclu que les propos litigieux, qui n’étaient pas soutenus par une enquête sérieuse et qui manquaient de prudence et de mesure, dépassaient les limites autorisées de la liberté d’expression. Dès lors, les intimés ne pouvaient bénéficier de l’exception de bonne foi. 

Bien que cet arrêt semble faire dépendre le caractère sérieux de l’enquête du respect du contradictoire, il doit toutefois être nuancé. 

En effet, si le respect du contradictoire semble indispensable, la Cour de cassation[2] a toutefois jugé qu’il ne peut être reproché à un journaliste de ne pas avoir directement interrogé la personne visée par des allégations lorsque celui-ci dispose d’éléments suffisamment sérieux permettant de croire à la vérité desdites allégations. 

Par conséquent, il peut en être déduit que l’absence d’éléments suffisamment probants doit conduire l’auteur d’une enquête journalistique à interroger la personne visée par les allégations pour conférer à cette enquête le caractère sérieux requis pour bénéficier de l’exception de bonne foi. 

Refus du bénéfice de l’exception de vérité en l’absence de preuve « parfaite et complète » des imputations diffamatoires

En matière de diffamation, l’auteur des propos diffamatoires peut également échapper à sa responsabilité en prouvant la réalité des faits allégués. Pour ce faire, une jurisprudence constante impose que la preuve des faits diffamatoires soit « parfaite, complète et corrélative aux imputations diffamatoires dans toute leur portée »[3].

En l’espèce, la directrice de publication et France Télévisions souhaitaient obtenir l’infirmation du jugement leur ayant refusé le bénéfice de l’exception de vérité.

Suivant le raisonnement du Tribunal judiciaire, la Cour d’appel a cependant exclu le bénéfice de l’exception de vérité au motif que la preuve de la réalité des allégations diffamatoires présentée par les intimés n’était « ni complète ni parfaite ».

En effet, pour justifier de l’exception de vérité, les intimées se fondaient sur une attestation et sur la retranscription d’une réunion faisant état de pressions exercées par messages, sans que lesdits messages ne soient produits, ce que la Cour a jugé insuffisant.

Les autres éléments versés au débat n’ont pas davantage convaincu la Cour, s’agissant de pièces subjectives, comme des articles de presse rédigés par les intimés eux-mêmes, ou d’éléments jugés non pertinents faute de se rapporter aux faits évoqués par les propos litigieux. 

En conséquence, la Cour d’appel de Paris a ordonné le retrait de l’article litigieux et condamné la directrice de la publication et France Télévisions au paiement d’un euro symbolique à titre de dommages et intérêts.

Que retenir de cet arrêt ? 

  • Pour bénéficier de l’exception de bonne foi, l’auteur de propos diffamatoires doit démontrer qu’ils reposent sur une enquête sérieuse ;
  • Pour ce faire, l’auteur doit établir qu’il a respecté le principe du contradictoire lorsqu’il ne dispose pas d’éléments suffisamment sérieux et objectifs permettant de croire à la réalité des imputations diffamatoires ;
  • Le bénéfice de l’exception de vérité suppose que l’auteur des propos rapporte la preuve « complète et parfaite » des allégations diffamatoires.

Arrêt de la Cour d’appel de Paris du 28 septembre 2022, RG n° 21/13657 (non publié)


[1] TJ Paris, 23 juin 2021, RG n° 19/07174.

[2] Cass. Crim. 12 mai 2009, n° 08-81.395.

[3] Cass. Crim. 14 juin 2000, n° 99-85.528.

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