Dans un arrêt du 9 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris a condamné la société Brico Privé pour avoir commercialisé parallèlement des produits relevant d’un réseau de distribution sélective, réalisant ainsi des actes de concurrence déloyale et parasitaire.
La société Husqvarna est l’un des principaux acteurs du secteur des équipements de jardinage, dont elle assure une partie de la commercialisation en France, par des revendeurs qu’elle sélectionne.
Husqvarna a découvert, en 2013, que la société Brico Privé, spécialisée dans la vente en ligne d’articles de bricolage et jardinage, commercialisait sur son site Internet certains de ses produits, alors même qu’elle ne faisait pas partie de son réseau de distribution sélective.
Elle a donc mis en demeure la société Brico Privé de justifier de la licéité de ses approvisionnements.
Après avoir constaté de nouvelles ventes parallèles de ses produits en 2018, Husqvana a assigné la société Brico Privé devant le Tribunal de commerce de Paris. Elle demandait notamment la condamnation de Brico Privé pour avoir violé l’interdiction de revente hors réseau de ses produits.
Dans un arrêt du 9 novembre 2022, la Cour d’appel de Paris a confirmé le jugement du Tribunal de commerce de Paris et condamné Brico Privé à verser à Husqvarna la somme de 500.000 euros en réparation du préjudice causé par la violation du réseau de distribution sélective et par les actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Le revendeur parallèle engage sa responsabilité lorsqu’il a connaissance du réseau de distribution sélective qu’il viole
L‘ancien article L.442-6, I, 6° du Code de commerce condamne le fait « de participer directement ou indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseau faite au distributeur par un accord de distribution sélective (…) ».
Un réseau de distribution sélective est un réseau dans lequel l’organisateur destine la commercialisation de certains produits à des distributeurs agréés, sélectionnés sur la base de critères prédéfinis et objectifs[1].
L’organisateur d’un tel réseau est protégé contre les reventes par des tiers non agréés que dans la mesure où son réseau est licite. Il lui appartiendra alors d’en démontrer la licéité en cas de litige.
La jurisprudence considère qu’un réseau est licite lorsqu’il respecte trois conditions cumulatives, à savoir :
- Le choix des revendeurs est opéré en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés de manière uniforme à l’égard de tous et appliqués de façon non discriminatoire ;
- Les propriétés du produit en cause nécessitent, pour en préserver la qualité et en assurer le bon usage, un tel réseau de distribution ;
- Les critères de choix prédéfinis ne vont pas aller au-delà de ce qui est nécessaire.
En l’espèce, les juges ont apprécié in concreto chacun de ces critères. Ils ont alors relevé que les produits d’Husqvarna présentaient une certaine technicité et pouvaient présenter des risques. Leur commercialisation nécessitait donc l’existence de services d’assistance et de conseil.
La Cour a également relevé que les distributeurs avaient été choisis sur la base de critères précis et objectifs tels que leur « qualification, la qualité du point de vente, l’environnement, les possibilités de stockage des produits ».
Brico Privé considérait que le choix des revendeurs par Husqvarna reposait sur des critères non objectifs et opposait que son site Internet remplissait la majorité des critères de sélection du réseau.
La Cour n’a pas accueilli cet argument et a considéré qu’il ne permettait pas de démontrer un manque d’objectivité de l’organisateur du réseau, et ce d’autant plus que Brico Privé ne démontrait pas lui avoir soumis une demande d’agrément.
Les juges ont alors conclu que le réseau était licite.
Pour autant, même en présence d’un réseau licite, le seul fait de commercialiser des produits appartenant à un réseau de distribution sélective n’est pas une faute en soi. La jurisprudence condamne en effet le fait de vendre de tels produits en connaissance de l’existence d’un réseau de distribution sélective.
En l’espèce, la Cour a relevé que Brico Privé s’était approvisionnée auprès de deux distributeurs agrées d’Husqvarna et qui affichaient clairement cette qualité sur leurs sites Internet.
Pour les juges, Brico Privé ne pouvait ignorer l’existence du réseau et de l’interdiction de revente en dehors de ce dernier.
Un réseau de distribution sélective est opposable aux tiers même en l’absence d’étanchéité
Brico Privé soutenait pour sa défense que les produits de Husqvarna étaient également vendus sur d’autres sites Internet, tels qu’Amazon, qui ne bénéficiaient pas non plus d’agrément et pointait en conséquence l’absence d’étanchéité du réseau[2].
La Cour d’appel a rejeté cet argument et relevé que « l’étanchéité du réseau de distribution sélective n’est pas une condition de sa validité et de son opposabilité aux tiers ».
Elle a également relevé que Brico Privé ne démontrait pas l’absence de vigilance de l’organisateur du réseau pour protéger l’étanchéité juridique de ce dernier.
Aussi, l’existence d’autres violations du réseau mettant en cause son étanchéité ne pouvait permettre à la société Brico Privé de s’exonérer de sa responsabilité dans le cadre de la revente hors réseau qu’elle a commise.
La vente hors réseau peut être constitutive de concurrence déloyale et parasitaire
Husqvarna sollicitait également la condamnation de Brico Privé du fait d’actes de concurrence déloyale et parasitaire allégués.
La Cour d’appel a tout d’abord rappelé que l’irrégularité des conditions de revente par un distributeur hors réseau a pour effet de placer ce distributeur dans une « situation anormalement favorable par rapport aux distributeurs agréés ».
En l’espèce, les juges ont relevé que la société Brico Privé ne respectait pas les critères de qualité qui s’imposaient aux distributeurs agréés, ce qui lui permettait de réaliser des économies substantielles.
Les juges d’appel ont encore souligné que certains consommateurs pensaient que Brico Privé faisait partie du réseau, de sorte que Husqvarna y était associée et subissait une atteinte à l’image de sa marque et de son réseau, notamment en raison des critiques que rencontraient fréquemment Brico Privé sur la qualité de ses services.
Cette atteinte à la marque et au prestige du réseau était également renforcée par le non-respect du RGPD par la société Brico Privé, laquelle avait d’ailleurs été sanctionnée par la CNIL en 2021[3].
Enfin, en commercialisant des produits Husqvarna en dehors des règles du contrat de distribution, la Cour a considéré que la société Brico Privé avait commis des actes parasitaires en se plaçant dans le sillage du réseau afin de bénéficier de la notoriété et des investissements promotionnels de la société Husqvarna.
La société Brico Privé a ainsi été condamnée à réparer le préjudice causé à la société Husqvarna du fait des ventes illicites litigieuses, constitutives d’actes de concurrence déloyale et parasitaire.
Que retenir de cet arrêt ?
La société qui vend des produits hors réseau, en connaissance de l’existence de ce réseau de distribution sélective, engage sa responsabilité même en présence d’autres violations pouvant remettre en cause l‘étanchéité du réseau.
Lire l’arrêt de la Cour d’appel de Paris n°21/00180 du 9 novembre 2022 sur Dalloz
[1] Article 1, e du règlement (UE) n°330/2010 du 20 avril 2010 définit la distribution sélective comme « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».
[2] Un réseau étanche désigne un réseau qui ne tolère aucune commercialisation des produits par un opérateur non agréé par le distributeur.
[3] Délibération de la formation restreinte de la CNIL n°SAN-2021-008 du 14 juin 2021.