L’éditeur d’une application qui informe sur les risques liés à la consommation de produits ne commet pas d’actes de dénigrement

Dans un arrêt du 8 décembre 2022, la Cour d’appel d’Aix-en-Provence a jugé que la société YUCA n’engageait pas sa responsabilité à l’égard du producteur de charcuteries dont les jambons étaient référencés sur son service comme « mauvais ».     

La société YUCA, créatrice de l’application mobile homophone, offre aux consommateurs un outil pour décrypter l’impact de produits, notamment alimentaires, sur leur santé. Son algorithme attribue aux produits une note de 0 à 100, ainsi qu’un commentaire, « excellent, bon, médiocre ou mauvais », en fonction notamment de la présence d’additifs. 

Une société spécialisée dans la fabrication de charcuterie industrielle avait constaté qu’un de ses jambons était référencé comme « mauvais » sur l’application YUKA, notamment en raison de la présence de nitrites pourtant autorisés par la réglementation européenne. La fiche produit comportait également un bandeau renvoyant à la signature d’une pétition pour l’interdiction des nitrites. 

Elle a estimé que la société YUCA s’était rendue notamment coupable de pratiques commerciales déloyales, ainsi que de dénigrement. Elle l’a ainsi assigné devant le Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence. 

Dans un jugement du 13 septembre 2021[1], le Tribunal a considéré que la société YUCA avait engagé sa responsabilité civile et l’a condamnée à payer 25 000 € au producteur de charcuterie, en réparation de son préjudice moral.

La société YUCA a interjeté appel de ce jugement devant la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui a infirmé la décision de première instance. 

L’ avertissement qui est scientifiquement justifié ne constitue pas une pratique commerciale déloyale 

À titre liminaire, les juges d’appel ont relevé que la société YUCA propose un service d’information qui renseigne les consommateurs sur la qualité des produits qui leurs sont offerts à la consommation, aux fins de les aider dans leurs choix alimentaires et de pousser les industriels à proposer des produits de meilleure qualité.

À cet égard, ils ont estimé que la responsabilité de YUCA devait être examinée en tenant compte des règles relatives à la liberté d’expression.

S’agissant des demandes formulées sur le fondement des pratiques commerciales déloyales, les juges ont rappelé qu’une telle pratique est caractérisée lorsqu’elle remplit deux conditions : 

  • Elle altère ou est susceptible d’altérer le comportement économique du consommateur, et
  • Elle est contraire aux exigences de la diligence professionnelle[2].

Les juges ont considéré que le premier critère était rempli. Ils ont en effet relevé que le fait pour l’application d’indiquer qu’un produit alimentaire était « mauvais » et de lui attribuer une faible note était susceptible de modifier le comportement du consommateur qui est fortement dissuadé d’acheter le produit. 

Sur le second critère, les juges ont rappelé que YUCA était tenue au titre de ses diligences professionnelles « de fournir une information permettant au consommateur de choisir les produits les meilleurs pour sa santé ». 

Sur ce point, les juges ont remarqué que l’application explicitait à raison aux consommateurs les critères de notation qu’elle utilisait. Par ailleurs, elle fournissait les fondements de l’information communiquée en mettant à leur disposition des articles scientifiques « issus d’un travail de recherche non contestable ».  

Enfin, le producteur de charcuteries ne rapportait pas la preuve que la société YUCA avait dérogé à ses règles méthodologiques et à ses critères de notation pour défavoriser les produits concernés.

Les juges ont ainsi débouté le producteur de sa demande au titre des pratiques commerciales déloyales.

L’ avertissement mesuré qui repose sur une base factuelle suffisante ne constitue pas un acte de dénigrement 

Le producteur sollicitait également la condamnation de la société YUCA au titre d’actes de dénigrement.

À titre liminaire, les juges ont estimé que le fait de référencer un produit comme « mauvais » était de nature à jeter le discrédit sur ce dernier. 

Pour autant, le dénigrement ne peut être constitué lorsque l’information litigieuse répond à trois critères : 

  • Elle se rapporte à un sujet d’intérêt général, 
  • Elle repose sur une base factuelle suffisante,  
  • Elle est exprimée dans une certaine mesure.

La Cour d’appel a ainsi retenu, pour les mêmes motifs factuels tenant à la documentation fournie par YUCA, que cette dernière avait suffisamment justifié son avertissement. Elle observe par ailleurs que cette information s’inscrivait incontestablement dans un sujet d’intérêt général et ne ciblait pas spécifiquement le producteur mais bien l’ensemble des industriels concernés. 

En outre, les termes employés par l’application respectaient la mesure requise dans le cadre de la diffusion d’informations, notamment car l’appelante ne se prévalait d’aucune autorité scientifique officielle et reconnue.

Les juges ont en conséquence considéré que la responsabilité de YUCA ne pouvait pas être retenue sur le fondement du dénigrement.

Que retenir de cet arrêt ? 

La société qui propose un service d’information et avertit ses utilisateurs des dangers présumés d’un produit, sur la base d’une méthode transparente et à l’appui de documentations scientifiques, n’engage pas sa responsabilité délictuelle.

Lire l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix-en-Provence n°2022/354 du 8 décembre 2022 sur Dalloz


[1] Tribunal de commerce d’Aix-en-Provence, 13 septembre 2021, n°2021004507.

[2] La diligence professionnelle est définie par la Cour d’appel comme « le niveau de compétence spécialisée et de soins dont le professionnel est raisonnablement censé faire preuve vis-à-vis du consommateur, conformément aux pratiques de marché honnêtes et/ou au principe général de bonne foi dans son domaine d’activité ».

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